Traité de réunion de la République de Mulhouse à la République française
le 10 février 1798
Le drapeau de la République est « flammé de 20 pièces d'argent et de gueules, avec un canton armorié en haut à gauche » [la fameuse roue de moulin qui est aujourd'hui le blason de la ville de Mulhouse : « d'argent à une roue à huit aubes de gueules »]. En effet, un blocus de la ville avait été imposé pendant de longues années par le pouvoir révolutionnaire et il était de plus en plus mal vécu par la population qui finissait par manquer de tout. Il y avait aussi de la jalousie des manufacturiers de la régions à cause du fort développement industriel de Mulhouse dès 1746, précurseur de la révolution économique en Europe. En outre, les alliés suisses étaient, eux-aussi, menacés par la politique belliciste des dirigeants français. Pour ce Traité, il n’existe qu’un seul exemplaire original, c’est-à-dire que, contrairement aux traités d’alliance pour lesquels chaque partie a une copie signée, il s’agit ici d’un cas particulier : l’incorporation de la République de Mulhouse [1], dans la République française, la première cédant ses droits de souveraineté, donc son autonomie politique pour gagner sa liberté commerciale. C’est le 25 ventôse an 6 [15 mars 1798] qu’a été enterrée l’indépendance mulhousienne par une fête commencée à six heures du matin par cinquante coups de canon. Le drapeau mulhousien est roulé et placé dans un étui aux couleurs tricolores, sur lequel est apposée une bande portant l’inscription « La République de Mülhausen repose dans le sein de la République française ». A partir de 2h de l'après-midi, la fête se pousuit par des banquets et toutes sortes de réjouissances. « Cela avait été une journée triste et affligeante, pour tout bourgeois bien-pensant » écrira plus tard Godefroi Engelmann (1734-1810), trésorier de la défunte République. « Alors qu’auparavant nous étions libres et nous ne payons rien, nous allons à l’avenir dépendre d’autrui et payer de lourds impôts. Mais on ne pouvait faire autrement. Si nous ne nous réunissions pas volontairement à la France, il était à craindre que l’on nous annexât par la force ». [1] Ville d’Empire en 1163 par l’empereur Friedrich I. von Hohenstaufen dit Barbarossa. La République est créée en 1293. Mulhouse est allié avec 13 cantons helvétiques par un traité d’alliance signé le 19 janvier 1515. Puis, elle rompt définitivement avec le Saint-Empire. En 1529, la ville adopte la Réforme zwinglienne avec culte exclusif comme des cantons alémaniques, notamment de Bâle et de Berne.
Ce tableau représente le dernier Schwörtag (jour du serment) ayant eu lieu en 1797, à cause du rattachement à la France. ♥ Texte transcrit [2]Traité de réunion de la République de Mulhouse à la République française
Le Directoire exécutif de la République française, instruit que les vœux du magistrat, conseils, citoyens et habitants de la République de Mulhouse se déclaraient pour la réunion à la République française et l'incorporation à la grande nation, et voulant donner aux plus anciens alliés de la France une dernière preuve de son amitié généreuse, a nommé le citoyen Jean Ulric Metzger, membre de l'administration centrale du département du Haut-Rhin, commissaire du gouvernement pour constater les vœux émis pour la réunion, et en stipuler le mode et les conditions : pour lequel effet les magistrats, conseils et citoyens de la République de Mulhouse ont nommé pour traiter et stipuler en leur nom MM. Jean Hofer, bourgmestre ; Josué Hofer, syndic ; Paul Huguenin, Jérémie Kœchlin, membres du grand conseil ; Jacques Kœchlin, l'un des Quarante adjoints au grand conseil, et Sébastien Spörlein, notable, tous de la ville de Mulhouse ; lesquels messieurs les députés sont également, et autant que besoin, particulièrement chargés et autorisés de stipuler pour les habitants d'Illzach et de Modenheim, formant dépendance de la République de Mulhouse ; et le commissaire du gouvernement français s'étant fait constater et certifier par actes authentiques ci-annexés l'émission libre des vœux pour la réunion, les commissaires et députés ont produit et échangé leurs pleins - pouvoirs et sont convenus des articles ci-après : Article 1er. La République française accepte le vœu des citoyens de la R` épublique de Mulhouse, et celui des habitants de la commune d'Illzach et de son annexe Modenheim, formant une dépendance de Mulhouse, et déclare lesdits citoyens et habitants Français nés. Art. 2. Le gouvernement français, pour donner une marque de son attachement à ses anciens alliés, consent à prolonger leur état de neutralité, et les dispense par conséquent de toutes réquisitions réelles et personnelles et du logement des gens de guerre, pendant la durée de la guerre, jusqu'à la paix générale. Art. 3. Les citoyens et habitants de Mulhouse, Illzach et Modenheim, qui voudront quitter, auront la faculté de transporter en Suisse ou ailleurs leurs personnes et fortunes dûment constatées. On leur accorde une année, à dater de l'échange de la ratification des présentes, pour sortir, et trois ans pour opérer la vente et la liquidation de leurs biens et créances. Art. 4. Les biens de la ville, tant ceux qu'elle possède dans sa propre banlieue que ceux qui lui appartiennent dans la banlieue d'Illzach, et qui sont régis par le magistrat et ses agents, ceux alloués à l'hôpital, les maisons publiques et celles qui contiennent des fonctionnaires publics, les moulins, usines, terres labourables, prés, pacages, forêts, situés soit dans l'enclave du territoire de Mulhouse, soit hors ladite enclave, ainsi que les rentes et cens qui pourraient être dus soit à la commune, soit à l'hôpital ou telle autre corporation de fondation de Mulhouse, tout ce qui fait partie du patrimoine de ladite république, et ce qui s'entend sous le nom générique de biens\communaux, appartiendront en toute propriété et sans aucune soustraction à la commune de Mulhouse . Art. 5. Les maisons, immeubles, meubles et capitaux qui étaient l'apanage des six corporations appelées tribus, sont également regardés comme biens communaux. Art. 6. Les forêts, maisons et biens-fonds des ordres teutonique et de Malte, de même que ce que possèdent en ville le chapitre d'Arlesheim et l'abbaye de Lucelle, sont acquis à la commune. Art. 7. Les dispositions que la République de Mulhouse aura prises ou prendra encore jusqu'à l'échange de la ratification des présentes, relativement aux biens énoncés les articles 1, 5 et 6, seront exécutées selon leur forme et teneur. Art. 8. Les maisons, capitaux, rentes, terres, forêts, communaux et chènevières que la ville de Mulhouse vient de céder aux habitants d'Illzach et de Modenheim, annexe dudit Illzach, leur appartiendront en pleine propriété, sans aucune distraction, et ils en disposeront ainsi qu'ils aviseront, et de la manière qui paraîtra la plus convenable à leurs intérêts. Art. 9. Pour encourager l'agriculture paralysée de la commune de Mulhouse et dépendances, le gouvernement français déclare que les rentes foncières, emphytéotiques, et en général quelconques, qui pesaient sur les biens-fonds et immeubles des citoyens de Mulhouse et de leurs dépendances, au profit des ordres mentionnés dans l'article 6, et qui appartiendront à la nation, sont abolies sans indemnités : les possesseurs légitimes de ces biens seront délivrés de toute rétribution, et en jouiront en parfaite propriété. Art. 10. Le tribunal de commerce existant dans la commune de Mulhouse, y sera maintenu et organisé d'après les lois de la République française. Il y aura deux notariats dans la ville de Mulhouse : l'un sera exercé par l'ancien greffier-labellion, et le second par un citoyen à nommer. Les titres, documents, protocoles de la chancellerie seront déposés aux archives, qui auront un garde d'archives à salarier par la commune. Il sera établi, pour faciliter les relations commerciales, une poste aux chevaux à Mulhouse ; celle des lettres y est maintenue. Le gouvernement français fera établir la communication directe avec Bâle, Colmar et Belfort ; et, pour faciliter l'expédition des affaires, il sera établi un bureau de timbre et d'enregistrement dans la commune de Mulhouse : l'époque de son activité sera fixée par le gouvernement, ainsi que celle des paiements des contributions personnelles et foncières; et, comme il n'existe ni cadastre, ni matrice de rôle, puisque les citoyens de Mulhouse ont été exempts des contributions, il sera établi une commission qui s'occupera de la confection du cadastre, et des opérations préliminaires pour fixer et répartir les contributions. Et pour rassurer le commerce et l'industrie de Mulhouse, et maintenir le crédit des entrepreneurs qui travaillent avec des capitaux étrangers, le gouvernement français déclare qu'il entend conserver aux capitalistes de Mulhouse et dépendances suisses et autres étrangers, les mêmes droits et le même système de législation qui existaient avant la réunion de la République de Mulhouse, pour tous les actes et engagements antérieurs à cette époque ; tous les actes, soit hypothécaires, soit sous seing-privé, les dispositions. testaments, legs et tous les jugements antérieurs à la ratification des présentes, seront en conséquence exécutés d'après les lois statuaires de la ville de Mulhouse. Art. 11. La République de Mulhouse renonce à tous les liens qui l'unissaient au corps helvétique ; elle dépose et verse dans le sein de la République française ses droits à une souveraineté particulière, et charge le gouvernement français de notifier aux cantons helvétiques, de la manière la plus amiable, que leurs anciens alliés feront désormais partie intégrante d'un peuple qui ne leur est pas moins cher, et dans lequel ils ne cesseront pas d'être en relation intime avec leurs anciens amis. Art. 12. La ratification du présent traité sera échangée dans le mois, à compter du jour de la signature. Le jourd’hui 10 pluviose an 6 [22 janvier 1798] dix heures du matin devant toute la Bourgeoise convoquée et assemblée a été lu en français et traduit en allemand le traité portant les conditions de réunion de la République de Mulhouse à la grande République française, signé le jour de hier par les commissaires du gouvernement français et les députés de notre République. Quoi fait la Bourgeoisie a déclaré à l’unanimité accepter, recevoir et ratifier le contenu du dit traité et de suite chargé et donné pleins pouvoirs aux sieurs Jean Henri Dollfus bourguemaitre Jean Jacques Risler tribun Jean George Schlumberger Rodolf Ehrsam Jean Henri Zetter. Membres du grand Conseil David König - Jean George Holtzschutz. Adjoints au Grand Conseil Rodolf Kust Jean George Benner Jean Schlumberger de la Bourgeoisie d’autre part ratifier et signer en leur nom le dit traité et arrêté en outre qu’il sera après la signature portant ratification de suite remis au citoyen Jean Ulric Metzger commissaire du Gouvernement français pour être par lui transmis sans délai au Directoire Exécutif et ont signé… 10 signataires Le présent Traité ayant été lu et ainsi que la traduction en allemand devant l’assemblée des habitants d’Illzach convoquée à cet effet, ils ont unanimement déclaré accepter le présent Traité et ce qui les concerne, et ont nommé pour signer et ratifier en leur nom les quatre citoyens soussignés fait à Illzach le 10 pluviose an 6 [22 janvier 1798] … 4 signataires Le Directoire Exécutif arrête et signe le présent Traité de la réunion de la République de Mulhouse à la République française, négocié au nom de la République française par le citoyen Jean Ulric Metzger, membre de l’administration centrale du Département du Haut Rhin, nommé par le Directoire exécutif par arrêté du 9 nivôse an 6 [29 décembre 1797], commissaire du gouvernement et chargé de son instruction à cet effet. [2] Il ne s’agit pas d’un facsimilé, mais d’une transcription corrigée pour certains noms et mots. À noter que Mulhouse en allemand est Mulhausen (à ne pas confondre avec le village Mulhausen près de Saverne). Références INA - Histoire de l'Alsace. https://archives.haut-rhin.fr/Histoire-de-l-Alsace/p96/Le-rattachement-de-Mulhouse-a-la-France Kemper M. (2020). Mars 1798 : annexion de la République de Mulhouse par la France. Heb'di, 115, 4 p. Meininger E. (1910). Le traité de réunion de Mulhouse à la France en 1798. Meininger, Mulhouse, 82 p. Meininger E. (1910). Les Anciennes armoiries bourgeoises de Mulhouse. Meininger, Muhouse, 87 p. Pfister C. (1919). Comment et pourquoi la République de Mulhouse s'est donnée à la France. Petite Bibliothèque Alsacienne, Berger-Levrault, Strasbourg, 61 p. Schmidt M. (1919). Mulhouse. Notre Alsace, notre Lorraine, fasc. 10, 145-153 [pages manquantes]. Service Universitaire de l'Action Culturelle de l'Université de Haute-Alsace (consulté en 2021). Cérémonie du serment annuel ou Schwörtag, gouache de Jean Ulrich Schmerber, 1789. http://www.culture.uha.fr/2021/04/08/jaces-08-avril-2021/ |