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Moulins d'Alsace

     En 1773, selon l'abbé historien Grandidier, il y avait quelque 1650 moulins en Alsace qui comportent en grande majorité deux à trois fonctions : farine, huile et foulon à chanvre. Certains étaient aussi des scieries, papeteries, forges à martinets. Chaque moulin est un chef d'œuvre d'ingéniosité : simplicité et efficacité des mécanismes, parfaite connaissance du milieu naturel environnant, parfaite adaptation aux atouts et aux contraintes du milieu.


Öhlmühl (moulin à huile : colza et noix)

      L’huile des lampes était obtenue en écrasant le Raps, Reps ou Lewat en alsacien [Raps, Kohlraps, Kohlsaat en allemand ; rapeseed en anglais ; colza 1 en français] et l’huile ainsi obtenue s’appelait Raps-, Reps- ou Lewatöl (huile de colza en français). Ce sont les graines de Brassica napus subsp. napus (aussi nommé Ölreps) de la famille des Brassicacées, c'est-à-dire de la famille de la moutarde. Cette plante hybride est issue d’un croisement entre un chou et une navette, il y a environ depuis 2 000 à 1 500 ans av. J.-C. et son origine n’est pas encore élucidée 2. Des écrits grecs, romains, chinois remontant aux années 500 à 200 avant notre ère citent cette plante.
       Il existe une forme Brassica napus subsp. rapifera nommée Kehlrüawa en alsacien, Steckrübe en allemand, pour ses racines, connue en France sous le nom commun de rutabaga [du suédois rotabagge]. Elle est utilisée comme fourrage pour le bétaiul et aussi dans la cuisine.

       En Europe, la culture du colza a commencé au début du Moyen-Âge - en Alsace depuis le XIIIe siècle. Elle est devenue commerciale aux Pays-Bas dès le XVIe siècle. À cette époque, l'huile de colza servait principalement de combustible à lampe, car elle était la plus importante source d’huile de l’Europe central.
     D’après l’encyclopédie Brockhaus’ Konversations=Lexikon (1898, Leipzig) : on distinguait entre Winterraps ou colza d’hiver (se cueille en août) dont les graines contiennent  environ 42,5 % d’huile ou de graisse et Sommerraps ou colza d’été (se cueille fin mars). Les récoltes restent aléatoires entre 8 et 25 hl (à 65-70 kg) par ha.
    Les résidus ou Rapskuchen (tarte de colza) servaient d’aliment aux animaux qu’il faut néanmoins habituer à son goût, parfois en diluant dans du lait -  à une dose d’environ 2 kg  pour 1000 kg de viande.
    L’ennemi principal est la Rapsfloh ou Erdflöhe (mouche du chou), le Rapskäfer (méligèthe du colza) et la Rapswespe (tenthrède de la rave).

<< Moulin à huile (XVIIIe siècle) à Mittelbergheim (67140) - à visiter d'un clic.

1 du néerlandais koolzaad signifiant graine de chou.
2 Le croisement a pu se produire en pleine nature, car le colza y a été occasionnellement observé dans la nature, notament à proximité de champs où étaient cultivés, côte à côte, des choux pour la consommation humaine et de la navette pour produire de l’huile d’éclairage.


Ribmühl - Hanfmühl (moulin à chanvre)

     Le moulin à chanvre permettait de rouire la plante, d'en extraire les fibres qui serviront ensuite à tisser. Ainsi, la pierre à ribe écrasait le chanvre dans un bassin circulaire. Le ribage terminé, le peignage du chanvre se faisait avec un grand peigne muni de dents acérées pour obtenir une filasse prête à être filée. Les résidus de peignage appelés étoupe étaient utilisés notamment pour calfater les bateaux.


Plus au sujet du chanvre Cannabis sativa...

     Depuis l’Antiquité, les peuples germaniques cultivaient le chanvre (originaire d'Asie centrale) , au moins pour ses fibres — utilisées pour la fabrication de vêtements et de cordes pour les bateaux. Ainsi, en Thuringe, des fouilles archéologiques ont mis au jour des semis de chanvre à côté de poteries datant de 5500 av. J.-C. La découverte de la plus ancienne pipe du monde dans des tombeaux datant de l'âge de bronze (1500 av. J.-C.), à Bad Abbach (Bavière) tend à prouver que l'absorption de psychotropes sous forme de fumée inhalée. Si cela ne suffit pas pour autant à affirmer que le cannabis était fumé par les anciens Germains. On sait en revanche qu'avant la promulgation de la « loi de pureté » de la bière [Reinheitsgebot, 1516], influencée par les prescriptions de l'abbesse Hildegarde de Bingen (1098-1179) - qui s'était entichée du houblon - nombreuses étaient les plantes aromatiques et psychotropes qui servaient à renforcer le goût et les effets des bières de l'Antiquité et du Moyen-Âge, et à en améliorer la durée de conservation. Elle en cultive dans le jardin du couvent, aux côtés d'autres simples, sous le nom de "Cannabus" et préconise son usage pour combattre les nausées (anti-émétique) et contre les douleurs à l'estomac.

     Cannabis sativa est cultivé en Alsace depuis plus de 1 000 ans. Karl der Große (en français Charlemagne) va fortement encourager la culture du chanvre. Il s'agit alors d'une denrée stratégique, gage de prospérité, en raison des nombreuses utilisations permises par sa fibre : vêtements, cordages, voiles. Au milieu du XIXe siècle, les premiers jeans de Levi Strauss (originaire de Buttenheim en Allemagne) ont été coupés dans du tissu en chanvre.

      En Allemagne, vers 1290 a été utilisé pour la première fois du papier fait de fibre de chanvre. En 1455 Gutenberg a imprimé sa première Bible sur du papier en chanvre.


Mehlmühl (moulin à farine)

 

Moulin à farine (XVIIIe siècle) à Bartenheim (68) - à visiter d'un clic >>

 

 

 


À lire :

  • Nepomuk von Schwerz J. & V. Rendu, 1839. Assolements et culture des plantes de l'Alsace. Huzard, Paris, 321 p.
  • Hegy C. & E. Trehiou, 2009. Les moulins de Meyenheim au XIXème s. http://amisdenepomuk.free.fr/, 19 p. ou
  • Schwarz F., 2007. Particularités des moulins hydrauliques d'Alsace Bossue (Bas-Rhin). In Situ , 8, 2-13.