Famille BOUISSON

Alphonse Moutte : les obsèques (1913, Marseille)

Discours prononcé aux obsèques de M. Alphonse MOUTTE
Membre de l'Académie - Classe des Beaux-Arts
Directeur de l'École des Beaux-Arts de Marseille

le Mardi 22 Avril 1913

par M. Etienne MARTIN
Directeur de l'Académie et
Président de l'Association Des Artistes Marseillais


A. Moutte (1840-1913)

    Au nom de l'Académie de Marseille, dont M. Alphonse MOUTTE était un des membres les plus estimés, et au nom de l'Association des Artistes Marseillais, dont il était le Président d'honneur, je viens dire un dernier adieu au confrère éminent, au président aimé. Mais, de grâce, n'attendez pas de moi ni les paroles littéraires d'un indifférent, ni les témoignages raisonnéss d'un regret officiel : mon cœur déborde impérieusement et c'est mon âme, mon âme blessée, qui jette ici un véritable cri de douleur ! Oui, j'aimais profondément ce bon ami qui dort là son dernier sommeil ! Je le chérissais, je le vénérais à l'égal d'un père, car, comme un père, il n'a cessé de m'entourer d'une ineffable sollicitude et cette amitié si flatteuse, cette protection si efficace, resteront une des joies, un des honneurs de ma vie ! Ces sentiments de regret ne sont-ils pas d'ailleurs unanimes ? Ne sommes-nous pas ici réunis dans une commune émotion? Pourrions-nous sans défaillance voir disparaître ce confrère si affable et si délicat, ce bon camarade que la jalousie n'a jamais effleuré, ce grand caractère qui oubliait même les injures, qui a conservé intact, jusqu'à ses derniers jours, un culte si pieux à l'égard de son ancien Maître MEISSONIER, en un mot qui est resté fidèle jusqu'au bout à toutes ses affections comme à toutes ses convictions ? De goûts simples, modeste jusqu'à la timidité, timide jusqu'à la sauvagerie, bon jusqu'à la faiblesse, s'enthousiasmant devant toutes les diverses manifestations de l'Art comme devant les spectacles magnifiques de la nature... Ah, c'est au milieu de la saine poésie des champs qu'il se livrait entièrement, qu'il se dévoilait avec tous ses instincts de mâle franchise, de rustique distinction, de fière honnêteté ! Il était sûrement écrit que cet homme si tendre, dont les caractéristiques étaient la bienveillance et la bonté, que cet homme qui ne vivait que par le cœur, serait tué par le cœur. Il me disait lui-même ces jours-ci : « La mort de mon petit-fils sera ma propre fin ! » [*] ... Et voici que ces paroles prophétiques se réalisent déjà !
    Oh! heureuse solution à un tel malheur !
    Oh ! suprême réunion éternelle !
    Pourquoi Dieu ne rappelle-t-il pas ainsi tous ceux qui perdent leur enfant ?

    D'autres vous diront avec plus d'autorité que moi le rôle public de M. MOUTTE, son système d'éducation à l'école des Beaux-Arts, son exactitude à y remplir tous ses devoirs, les nombreux succès obtenus à Paris par ses anciens élèves, ce qui était pour lui la meilleure des récompenses. Pour nous, élevant notre esprit au-dessus des mérites de ce professorat, pourtant si fertile en résultats, faisons taire un instant notre chagrin et glorifions le brillant disciple de MEISSONIER, le peintre viril, l'artiste robuste qui nous laisse tant d'admirables œuvres. Rien n'adoucit la douleur comme de suivre ici-bas la trace de ceux que nous pleurons. Rien ne console comme de penser que leur mémoire est sauvée de l'oubli par leurs travaux. Non, certes, ils ne meurent pas tout entiers, ceux qui vivent encore au milieu de nous par leurs ouvrages ou par leurs bienfaits : Il n'y a pas d'efforts stériles. Envisageons donc courageusement les œuvres de notre ami et prédisons-lui une part relative de cette immortalité pour laquelle on lutte avec tant d'opiniâtreté, à laquelle on sacrifie toute son existence. Ces toiles que nous connaissons tous, qui retracent exclusivement des scènes locales et dont plusieurs sont devenues populaires, indiquent de patientes études, de spirituelles recherches des mœurs et des coutumes marseillaises. Imprégnées de l'ardente lumière du midi, elles restent quoique cette luminosité ait été dépassée depuis une des premières et des plus intéressantes tentatives en ce genre. Mais elles sont, avant tout, dessinées avec amour, puissamment construites, savamment composées et, grâce à ces divers titres, elles demeureront, en dépit de tout, dignes de notre respect et de notre déférence. Elles subsisteront comme une preuve de volonté studieuse, de scrupuleuse sincérité ; comme un modèle de haute probité intellectuelle ; comme un noble exemple de conscience artistique !

    Alphonse MOUTTE sort aujourd'hui de l'École militante pour entrer, désormais, dans l'École triomphante : que son nom soit acclamé !... Hélas, tous nos cœurs sont endoloris ; l'Académie de Marseille ainsi que l'Association des Artistes marseillais sont en deuil ; l'art provençal est diminué : que la volonté de Dieu soit faite !

Au revoir, mon bon ami, au revoir !

[*] Il s'agit de Samat Marc (1895-1913)


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