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Le vaisselier du cap Caveaux (peste , 1720)

 

Durant la "célèbre" peste de 1720 à Marseille, apportée par le navire Le Grand Saint Antoine (épidémie qui se propagea à toute la Provence, le Languedoc et le Comtat Venaissin et décima plus d'un quart de la population), la vaisselle contaminée fut en partie immergée en mer dans l'archipel du Frioul. Deux sites font maintenant l'objet de plongées touristiques : l’ilôt Tiboulen (de Ratonneau) et le cap Caveaux.

Mes premières plongées en scaphandre autonome sur le dernier site datent du début des années 1960 dans le cadre de recherches scientifiques sur des profondeurs de 40 à 50 m de profondeur. L’une d’elles provoqua chez moi l’ivresse des profondeurs, la seule que j’ai connue au cours de mes milliers de plongées professionnelles.
Elles m’ont aussi permis de découvrir cette vaisselle séculaire, notamment les pots à fraises et les pipes en terres cuites. Très rares étaient les objets en bon état, leur séjour au fond depuis des siècles les a fragilisés. Parfois apparaissait un pot de moutarde en terre vernissé marqué d'une marque dijonnaise déjà connue à l'époque : Maille. Avec le développement de la plongée grand public, le site a perdu son attrait dans les années 1970, sauf à regarder des débris en petits fragments, résultat d’un bon nettoyage par les innombrables palanquées de plongeurs sur ce site.

Pomègues, une des îles de l’archipel, abritait un port antique, devenu le port de la quarantaine qui a été fouillé dans les années 1985 par l'équipe de Michel Goury, ARHA. En une année, à la fin du XVIIe siècle, jusqu'à 500 navires au mouillage ou amarrés ont pu être dénombrés. Des centaines de pipes ont été retrouvées sur cette zone, perdues par les marins en escale.

Extrait de la "Carte de partie de la baie de Marseille, ou sont les isles du Chau. d'If, de Ratonau, de S. Jean ou de Pomegue"
(vers 1690). Les cercles indiquent les deux sites, la flèche vers le port de Pomègues (port de quarantaine).


Pots à fraises

La récolte de fraises sauvages en forêt est très ancienne en Provence, déjà du temps des Romains. Au cours du XIVe s. débute  la culture de la fraise des bois (Fragaria vesca) en Provence : le bassin agricole d’Aubagne a longtemps été réputé pour ses fraises, qui approvisionnait Marseille. Au XVIe s., Jacques Cartier rapporte du Canade la fraise Fragaria virginiana. Le 17 août 1714 Amédée François Frézier débarque à Marseille, en provenance du Chili, avec les premières grosses fraises chiliennes blanches Fragaria chiloensis qui sont croisées avec l’espèce canadienne F. virginiana. Ce n’est qu’au XIXe s. que les grosses fraises prennent le relais sur celles des bois.

Les pots à fraises étaient de petits récipients fermés, précurseurs des « emballages perdus » ; leur taille est d’environ 20 cm de haut pour 7-8 cm dans le plus grand diamètre, mais ils existent d’autres tailles. Ils sont apparus vers la fin du XVIIe s., d’abord dans la vallée de l’Huveaune, notamment à Aubagne, puis aussi à Marseille. Fabriqués selon le tournage à la corde sans recevoir aucun revêtement, ni engobe ni vernis. On peut évoquer dans leur cas la consommation de fraises par agrément, mais aussi par médication et en cosmétique. Ils servaient ensuite pour des usages secondaires. Pendant la peste, ils étaient utilisés pour mettre les pansements souillés.
Les deux pots représentés ci-contre ont été faits vers les années 1980 à l'identique de pots du début 1700 : ils étaient immergés en mer plusieurs mois, le temps de se couvrir de concretions diverses, puis vendus aux touristes.

À Marseille, on trouve ces pots à fraises aussi bien dans les fouilles terrestres que marines, tandis que les trois types de pipes sont surtout observés dans les fouilles marines de l’archipel du Frioul.


Pipes en terre cuites.

A. - Pipes en terre blanche (voir ci-contre)

Ces pipes ont été fabriquées avec de l’argile blanche et leur origine est principalement la Hollande, notamment de Gouda, où se trouvait le centre le plus renommé du monde occidental, au XVII-XVIIIe s. pour la supériorité de leur savoir faire technique. Déjà à l’époque, il y avait des contrefaçons d’Europe du Nord (Scandinavie, Allemagne).

L’identification des poinçons sur les talons n’est pas aisée car il n’y a pas de répertoire permettant d’attribuer une marque provenant Gouda, des Pays-Bas ou d’origine étrangère. Néanmoins, dans le port de Pomègues, Gosse (2007, p. 123-139) répertorie 15 poinçons comme étant la marque d’un fabricant de Gouda (utilisée de 1676 jusqu’en 1914).

Les trois types de pipes au Cap Caveaux : du haut en bas, deux pipes hollandaises, deux de type "vénitien", et deux ottomanes.

À Marseille, malgré la mention d’archive d’un fabricant pipier en 1693, la production locale véritable ne commence pas avant 1775 au plus tôt (Raphaël, 2003, p. 14-16).

B. - Pipes véniciennes (voir ci-dessus et détail ci-contre)

Si elles étaient connues comme pipes chiogiottes (fabriquées à Chioggia dans le Sud de la lagune de Venise), il s’est avéré d’après l’étude de Gosse qu’elles différaient par la structure et la fabrication. Celle de Chioggia étaient en deux parties fabriquées au moule par compression, tandis que celle du Frioul étaient composées de trois préfabriquées sur un tour à poterie et assemblées ensuite (ci-contre d'après P. Gosse). L'ensemble est alors recouvert d'un enduit similaire à ceux employé pour les "couvertes" des porcelaines ou des céramiques dans lequel sont additionnées des paillettes de micas, donnant cet aspect scintillant commun à toute les pipes.

C. - Pipes ottomanes (voir ci-dessus)

Ces pipes sont en  terre rouge, à tuyau court, souvent assez grossièrement décorées (voir ci-dessus). Une partie d’elle pourraient provenir des Balkans. Elles avaient une longue tige en bois. Rappelons que l’Empire ottoman possédait les rivages du bassin oriental de la Méditerranée et toutes la côtes Sud de cette mer, dont tout le Maghreb. Toutes ces pipes ont des colliers.


Réferences et Liens

Abel V., Bouiron M. & Parent F. (eds.) (2014). Fouilles à Marseille : Objets quotidiens médiévaux et modernes.  Bibliothèque d’Archéologie Méditerranéenne et Africaine, Publications du Centre Camille Jullian, vol. 16, 409 p.

Emig C.C., Villain-Gandossi C. & P. Geistdoerfer (eds) (2008). La Méditerranée autour de ses îles. 128e Congrès national des Sociétés historiques et scientifiques, Bastia, 2003. Éditions CTHS, Paris, édition électronique http://cths.fr/ed/edition.php?id=1225

Gosse P. (2007).  Les pipes de la quarantaine: fouilles du port antique de Pomègues. Vol. 19 in BAR International Series: The Archaeology of the Clay Tobacco Pipe, Oxford, 340 p.

Raphaël M. (2003). La pipe en terre à Marseille: deux cent soixante trois ans d’industrie pipière 1693-1956. Imprimerie Toscane, Nice, 206  p.

Amouric H. & L. Vallauri (2020). Pots à raisins et pots à fraises, conservation / commercialisation, XVIIIe-XXe siècles. Acte du colloque "Boire et manger en Provence (Xe-XXe siècle)", LA3M, Aix-en-Provence, octobre 2020 - https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03451035.

  • Gosse P. : Les pipes de la Quarantaine


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