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Le Petit Marseillais, journal, de 1868 à 1944
une histoire de familles


En-tête de la page 1 du n° 2 en date de 23 mars 1868.

Fils du tonnelier Joseph Samat (1810-1857) et de la regrattière Anne Lacour (1814-1892), dans le quartier de Mazargues à Marseille, Toussaint Samat (1841-1916) devient ouvrier typographe. Aussi, lui vient-il l’idée de fonder un journal populaire, plutôt axé sur des sujets à sensation avec le nom Le Petit Marseillais. Il associe son beau-frère Jean Baptiste Lazare Peirron (1845-1916) à son projet. Tous deux recherchent par petite annonce un bailleur de fonds, et y répond Denis Ferdinand Bourrageas (1842-1902). Ce dernier revenait de Zanzibar où il était employé dans l'agence de la Maison de commerce Roux de Fraissinet, une grande famille protestante de Marseille. Il a accumulé une confortable fortune (160 000 fr.) qu’il accepte d’investir pour financer ce projet pour le moins audacieux.

Le siège est au 15 quai du Canal [1], Marseille - voir ci-contre la localisation en 1890 et en 2023 (aujourd'hui siège du journal communiste La Marseillaise). Le premier numéro est daté du 22 mars 1868 lisible à  https://gallica.bnf.fr/ .
Dès 1869, grâce à l'affaire des « empoisonneuses » que Le Petit Marseillais, se fait connaître et réalisa ses premiers grands tirages. Car, Toussaint Samat a eu l'idée de faire « couvrir » l'événement par des journalistes se relayant sans cesse au Palais de Justice d'Aix-en-Provence, pour rapporter quotidiennement dans leurs articles, le déroulement du procès dans ses moindres détails. A noter que Le Petit Marseillais se vend grâce à son prix très bas (1 sou = 5 centimes, alors que tous ses concurrents coûtaient 2 sous) et grâce aux « crieurs » qui, sous l'impulsion de Toussaint Samat, le vendaient sans relâche dans le centre de Marseille. La réputation du journal fut ainsi faite, assise sur la rapidité et la véracité des nouvelles qu'il rapportait (Bertin, 1882, p.  63-64).
Quand Denis Bourrageas se marie en 1875 avec  Madeleine Victorine Dufort, Toussaint est le témoin du marié.

Pendant le Second Empire, bien que Le Petit Marseillais soutienne en 1869 Ferdinand de Lesseps, ses sentiments envers l’Empire manquent de chaleur, et son ralliement à une République modérée sera, l’année suivante, sans équivoque. Aussi a-t-il connu quelques ennuis avec la censure Impériale, et le républicain Toussaint Samat est même emprisonné pour raisons politiques. Avec l'avènement de la Troisième République, et surtout la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, le journal prit un fulgurant essor, passant bientôt de son état de société en commandite simple à celui de commandite par actions. La plupart des bourgeois marseillais de l'époque achetèrent des actions. Son tirage atteint 50 000 en 1879 [2],  170 000 vers 1897. Il est l’organe du gros public moyen, aisé, effrayé par les extrémismes en même temps que friand du fait divers ou de la nouvelle locale ou à faire rêver sa clientèle de paisibles « cafés du  commerce ». Vers 1880, le journal faisait vivre plus de 1000 familles.

En 1898, Gustave Bourrageas (1877-vers 1938) entre au Petit Marseillais comme rédacteur, puis en 1902, il en devient directeur administratif aux côtés de Jean Baptiste Samat qui, en 1916, succède à son père à la direction du journal.

Jean Baptiste SAMAT (1865-1931)
[d'après une photo de Marc Tylli].    

En 1921, les journaux Le Petit Marseillais et Le Soleil (fondé en 1885) rassemblent leurs capitaux, rassemblement conforté par des liens matrimoniaux et, en 1925, les administrateurs du Petit Marseillais reconstituent la Société du vieux Sémaphore où les Barlatier [3] conservent toutefois la moitié des actions, jusqu’en août 1944, date de la disparition des deux journaux.
C’est aussi en 1921 qu’entre au Petit Marseillais Jean Gaillard-Bourrageas (1900-1992), gendre et fils adoptif de Gustave Bourrageas (1877-1937/), lui-même fils du fondateur Denis Bourrageas (1842-1902) ; il a été adopté par son beau-père le 20 mars 1935 et sera son héritier. Journaliste, puis secrétaire général, directeur-adjoint, il succède à son beau-père, malade vers 1936, à la direction du journal.
À cette époque, le tirage du journal est de l’ordre de 150 000 exemplaires et se situait au neuvième rang des quotidiens provinciaux. À partir des années 1930, il est diffusé partout dans le Sud-Est, en Corse et en Afrique du Nord.

À partir de 1936, Jean Gaillard-Bourrageas met Le Petit Marseillais au service de Simon Sabiani, chef régional du Parti Populaire Français (PPF), collaborant avec l’occupant allemand. En 1937, en devenant un administrateur du Petit Marseillais, Jean Fraissinet (1894-1981), armateur et patron de presse (dont Marseille-Matin), issu d'une grande famille protestante marseillaise, se rapproche avec Gustave Bourrageas, directeur du Petit Marseillais et Jean Gaillard-Bourrageas, direct-adjoint. Marseille-Matin est alors imprimé par Le Petit Marseillais, mais les deux quotidiens gardent leur indépendance.
En 1940, le journal penche nettement pour le gouvernement de Vichy. Aussi une âpre bataille sévit entre administrateurs du Petit Marseillais dès 1941. En effet, un grave différend oppose le directeur Jean Gaillard-Bourrageas aux administrateurs Jean Savon-Peirron (1874-1964) [4], Marcel Samat (1898-1961) et Maurice Delanglade, qui tentent d'atténuer l'orientation collaborationniste du premier. Elle se termine par un procès du directeur et du rédacteur en chef du Petit Marseillais ; le tribunal les condamnent à mort en octobre 1944 avec suppression définitive du journal : Jean Gaillard-Bourrageas est condamné par contumace, il décède en exil en Italie (probablement à Milan en 1992), tandis qu'Albert Lejeune est fusillé à Marseille le 3 janvier 1945 - lire l'article de Combat (21-10-1944) et plus de détails dans Références et liens.

Le dernier numéro du Petit Marseillais est diffusé le 17 août 1944. Le dernier en ligne est du 11 août 1944. Dès les premiers jours de la libération de Marseille (21-28 août 1944), les locaux ont été occupés par les résistants pourr le nouveau journal communiste La Marseillaise - au 15 quai du Canal [1], aujourd'hui toujours son siège ; il est paru vers la fin août 1944, imprimé sur les presses du Petit Marseillais.



Note :

[1] Aujourd’hui, le 15, Cours d'Estienne-d’Orves, à l’emplacement du journal communiste La Marseillaise, qui s’est "installé" dès le 25 août 1944, lors de la libération de Marseille, dans les anciens locaux du Petit Marseillais, fermé suite au procès pour collaboration, et dont le dernier numéro est paru le 17 août 1944 ! Ensuite, ses presses ont servi à la publication de La Marseillaise.

[2] Contre 18 000 à La Jeune République, 4 000 au Sémaphore, 3 000 à la Gazette (7 000 en 1871), 2 500 au Journal de Marseille (Rosaz-Brulard, 1988).

[3] Paul Barlatier est né à Marseille lé 22 mai 1876 et décédé à Alger le 14 juillet 1944 : juriste de formation, imprimeur, journaliste et directeur propriétaire du journal libéral Le Sémaphore à la tête duquel il succéda à ses père et grand-père. Le journal cesse de paraître en août 1944. Il a été membre de l'Académie des sciences, lettres et beaux-arts de Marseille (élu en 1911), chevalier de la légion d'honneur, fondateur à Marseille du théâtre Athéna, inauguré en 1908.

[4] Louis Charles Joseph Jean Baptiste Savon est orphelin très leune, sa mère Marie Elisabeth Richardson décède deux semaines après sa naissance le 2 novembre 1974, tandis que son père Louis Marius Savon, entrepreneur, décède le 14 juillet 1877, il a trois ans.
Le 14 juin 1898, il épouse Madeleine Marie Rose Peirron (1877-1967), fille de Jean Baptiste Peirron, un des fondateurs du Petit-Marseillais, qui l'adopte officiellement avec ajout du nom Peirron. Il est l'un des administrateurs du journal.
 


Pour les données généalogiques complètes, consultez notre base de données :

  • arbre Samat
  • arbre Peirron
  • arbre Bourrageas


  • Courte généalogie des membres des familles des trois co-fondateurs et ayant travaillé au journal (entouré d'un cadre rouge)

    Famille Samat
    (voir aussi descendance Moutte-Bouisson)


    Famille Peirron


    Famille Bourrageas


    Voir aussi la descendance du
    peintre marseillais Alphonse MOUTTE


    Références et Liens

    Bertin H. (1882). Bustes et masques marseillais. Laveirarié Père, Marseille, 1e Série, 125 p. [Alphonse Moutte : p. 63-64 ; Samat : p. 65-66].

    Dubois M., Gaffarel P. & Samat J.-B. (1928). Histoire de Marseille. Imprimerie municipale Marseille, 222 p.

    Lujan P. (1935). Les exploiteurs du peuple. Capitalistes marseillais. Ceux de la Presse : I. - Bourrageas, Bouisson, Fraissinet et Cie. Rouge-Midi, n° 132 (13 juillet 1935), p. 2.

    Orsoni S. (1944). Premier grand procès de patrons de presse collaborationnistes : le procès Albert Lejeune et Jean Gaillard- Bourrageas du Petit Marseillais - octobre 1944. https://museedelaresistanceenligne.org/

    Pauriol F. (1939). Un ennemi du peuple et du pays : le trust Bourrageas. Impr. Rouge-Midi, 37 p.

    Repelin J. (1932). Jean-Baptiste Samat (1865-1931). Mémoires de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Marseille, p. 353-355.

    Rosaz-Brulard M.-J. (1988). Il y a quelque cent ans, la presse marseillaise. In : Hommes, idées, journaux. Éditions de la Sorbonne, Paris, p. 67-81.

    Combat (21-10-1944). L'affaire du "Petit Marseillais" (article). N° 114, 4e année, p. 1-2..


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