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Quelques pistes sur le Droit Local Alsacien...




D'abord quatre remarques...

  • Depuis 1871, l'Alsace a connu des mutations profondes, économiques et politiques, de nombreux facteurs ayant progressivement conduit à la doter d’une « identité particulière » (Ifersheim, 2016 ; Rhinn, 2018) qu’il est indispensable de connaître pour expliquer la formalisation du droit local dans l’ordre juridique national français.

  • Pour les dispositions de droit local d'origine allemande, seul le texte original dans sa version allemande fait foi. En cas de difficulté de compréhension de certaines notions juridiques difficilement traduisibles ou sans équivalent exact dans la langue française, il faut se reporter au texte allemand.

  • En Alsace-Moselle, les électeurs ont la possibilité de voter en allemand. Les documents électoraux officiels en allemand sont financés par l’État. Une spécificité alsacienne et mosellane pour le moins discordante avec les articles 1 et 2 de la Constitution en Alsace et en Moselle le français n'est PAS la seule langue officielle de l’Etat Français !

  • La loi de 1905 sur la laïcité ne s'applique pas en Alsace-Moselle. Au moment de la promulgation de cette loi en France, cette région était allemande et par la suite le maintien du Condordat rend cette loi inapplicable. Le Conseil constitutionnel a jugé que le régime dérogatoire propre à l'Alsace-Moselle n’est pas contraire à la Constitution. Il reste que ce régime dérogatoire est contraire à la loi du 9 décembre 1905, qui n’y est pas en vigueur !

Quelques références récentes...

Gueydan C. (2013). La constitutionnalisation du droit local d’Alsace-Moselle et la question prioritaire de constitutionnalité. Revue française de Droit constitutionnel, 96, p. 857-878.

Igersheim F. (2016). L'Alsace politique: 1870-1914. Presses universitaires de Strasbourg, 232 p.

Rhinn E. (2018). La formalisation du droit local alsacien-mosellan dans l’ordre juridique français (1914-1925). Thèse, Université de Strasbourg, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02120864

Zahra B. (2015). Le Droit Local d’Alsace-Moselle tel qu'ils le vivent. Mettis Ed., Metz, 311 p.

Zahra B. (2022). Droit Local et religions en Moselle. https://www.blelorraine.fr/2021/09/droit-local-et-religions-en-moselle/.

Zahra B. (2024). Le statut scolaire en Alsace et en Moselle. https://www.blelorraine.fr/2024/05/le-statut-scolaire-en-alsace-et-en-moselle/.

Institut du Droit Local Alsacien Mosellan, Strasbourg : présentation du droit local - .

Elsaß - Europäische Region in Geschichte und Gegenwart. Zeitschrift Deutschland & Europa, Heft 32 (1996) - Landeszentrale für politische Bildung - LpB - Baden-Württemberg - pdf.


Le Statut local d’Alsace et Moselle : un résumé

La Loi du 1er juin 1924 introduisit la législation française, mais préserva des pans considérables de la législation d’avant 1919 et donc dérogatoires au droit français de l’époque, dont la Loi Falloux.
Le Statut local d’Alsace et Moselle est véritablement né à ce moment.

Cependant, le droit local alsacien-mosellan, un élément structurant de l'identité des territoires de l'Alsace et de la Moselle et de leurs habitants, s'est construit par strates normatives successives depuis 1870 et son existence a été érigée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2011-157 QPC du 5août 2011, en principe fondamental reconnu par les lois de la République française.

Il couvre de nombreux domaines :

  • dans le droit public : le droit communal, le régime des eaux, le droit de chasse, le statut confessionnel de l’enseignement, y compris publique ;
  • dans le droit social : le régime de la sécurité sociale (assurances maladie, vieillesse, accidents du travail), celui des pensions, la réglementation de l’apprentissage artisanal, celle du repos dominical et des heures d’ouverture des magasins;
  • dans le droit privé : le régime matrimonial et successoral, l’organisation judiciaire et la compétence des tribunaux, le régime foncier, le droit commercial, le droit d’association, le droit local des caisses d’épargne et du crédit mutuel;
  • dans le domaine religieux : le régime légal des cultes… réponse du Conseil d'Etat en 2013 .

Ce droit local est donc constitué de la superposition de plusieurs textes législatifs et réglementaires :

  • ceux d’avant 1871 maintenus en vigueur durant la période allemande, comme le Concordat et la Loi Falloux ;
  • ceux institués pendant le rattachement à l’Allemagne, comme le Code du travail de 1903 ou la loi sur les associations de 1908;
  • ceux d’après 1919 adaptant la législation précédente à la législation française (par exemple l’application de la Loi du 11 juillet 1971 sur la formation continue).

Le volet éducation/formation du statut local :

Quant au volet scolaire du statut local, il ne découle pas du Concordat de 1801 qui règle, sur un plan général, les rapports de l’État français avec les trois Églises reconnues, catholique, protestante, israélite. Sa base juridique est la Loi Falloux du 15 mars 1850, complétée et précisée par un certain nombre de textes français et allemands, parus respectivement avant et après 1870. Ces dispositions, comme l’ensemble du statut local, ont été maintenues à la libération.

Ainsi, l’enseignement religieux est obligatoire, car l’article 23 de la Loi Falloux 11 indique que « l’enseignement primaire comprend : l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture […] ». D’après le décret du 7 décembre 1972, cet enseignement comporte une heure intégrée dans les 27 heures obligatoires, cet horaire pouvant être porté à 28, dont 2 heures de religion. Cet enseignement est donné par les maîtres volontaires, les ministres du culte ou des catéchistes. Les parents ont néanmoins la possibilité de dispenser leurs enfants de cet enseignement par demande écrite, en application du décret du 10/10/1936. Ces dispositions concernent toute la scolarité obligatoire et s’étendent donc au collège depuis 1959.

L’article 36 de la Loi Falloux précise : « dans les communes où les différents cultes reconnus sont professés publiquement, des écoles séparées seront établies pour les enfants appartenant à chacun de ces cultes. » C’est pourquoi il existe des écoles confessionnelles, essentiellement catholiques et protestantes, parfois une de chaque confession dans la même commune. Et lorsque, dans les années soixante-dix, on a voulu faire fonctionner en unités pédagogiques des écoles de confessions différentes, l’accord des autorités religieuses était indispensable. En ce qui concerne l’apprentissage, au moment du retour sous souveraineté française, le statut local a permis de préserver un certain nombre de dispositions législatives et réglementaires datant de l’époque allemande et auxquelles les milieux professionnels et l’opinion publique en général étaient attachés.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 21 février 2013, a donné un contenu précis à la notion de laïcité. Il a souligné aussi que le régime des cultes d’Alsace et de Moselle, bien que contraire au principe de laïcité au regard de deux de ses composantes, à savoir la non-reconnaissance des cultes et l’interdiction de salarier le personnel religieux, n’est pas jugé contraire à la Constitution. Aussi, la Collectivité Européenne d'Alsace (CeA) et le département de la Moselle sont des départements non laïques.

      De là résultent quelques particularités :

  • ainsi, les artisans sont toujours regroupés dans des corporations de métiers (une corporation par arrondissement et une fédération pour l’Alsace) ;
  • les chambres consulaires disposent de pouvoirs importants sur l’apprentissage ;
  • la taxe d’apprentissage que la loi de 1971 a fixé à 0,5% de la masse salariale de l’entreprise n’est que de 0,2% en Alsace. En outre, elle n’est pas versée à des organismes publics ; les EPLE ne peuvent donc en bénéficier que si les entreprises établies en Alsace ont leur siège social ailleurs en France ;
  • la majorité des CFA sont rattachés à des lycées professionnels qui peuvent alors par leur intermédiaire recevoir la taxe d’apprentissage ;
  • il existe des formations et des diplômes spécifiques délivrés par les chambres consulaires, tel par exemple le brevet de maîtrise supérieur, diplôme de niveau III, qui existe en Alsace depuis 1979 et accessible par la formation continue.

En Allemagne, le droit de vote des femmes a été promulgué le 12 décembre 1918... mais à cause de l’annexion du Land Elsaß-Lothringen par la France, les Alsaciennes-Mosellanes devront patienter jusqu’après la seconde guerre mondiale - pour être précis le 21 avril 1944 - sans commentaire !


Financement par l'Etat des ministres des cultes en Alsace - Moselle
(dite aussi Alsace-Lorraine )

En 2013, le Conseil constitutionnel a confirmé le financement par l'Etat des ministres des cultes exerçant en terre concordataire, l'Alsace et la Moselle, au grand dam d'une association de défenseurs de la laïcité. Il rappelle que l'exception pour l'Alsace et la Moselle, datant de 1801, a été maintenue par la suite et notamment par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'État. « Le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes. Il implique que celle-ci ne salarie aucun culte. » Toutefois, les pères des Constitutions de 1946 et de 1958 n'ont pas pour autant « entendu remettre en cause les dispositions législatives ou réglementaires particulières» relatives « à l'organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte » applicables à l'Alsace et la Moselle et qui sont, selon les « Sages », des dispositions conformes à la Constitution.

Le maintien du Concordat Napoléonien et la non application de la loi 1905 sur la laïcité dans plusieurs départements de la France métropolitaine et d'outre-mer (incluant la Nouvelle-Calédonie) sont régulièrement remis en question par des personnes méconnaissant la situation dans ces structures et leur histoire, ainsi que la jurisprudence et leur régime dérogatoire. Lire les publications référenciées ci-dessus, ainsi que les Documents de l'Observatoire de la laïcité .


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