Située au cœur de l’Europe, au croisement des routes qui relient le nord et le sud, l’est et l’ouest, l’Alsace est depuis toujours une terre de passage et de migrations. Durant le premier millénaire av. J.C., les populations alsaciennes sont celtiques ou celtisées. Au Ve siècle av. J.C. (La Tène moyenne et finale), les Celtes envahissent le Sud de la France et s'avancent en Italie du Nord, jusqu’à la prise de Rome. La voie alpine plus sûre est alors préférée au couloir rhodanien. Partie intégrante du Saint-Empire romain germanique dès sa création en 962, son essor urbain attire marchands et artisans, passée en partie à la Réforme protestante luthérienne, puis décimée par la guerre de Trente Ans, elle est repeuplée grâce à l’immigration, surtout en provenance du Saint Empire et de la Suisse alémanique. Les spécificités alsaciennes, notamment linguistiques et religieuses, ont été des freins dans les déplacements. Rappelons jusqu’au XXe siècle jusqu’à 95% de la population ne parlaient que l’alsacien et l’allemand. Aussi l’immigration en Alsace était une immigration de proximité linguistique, donc depuis l’Allemagne, la Suisse alémanique, et comté de Montbéliard, à l’écart des grands courants migratoires européens (Espagnols, Portugais, Italiens, Polonais), même récemment, depuis les années 1990, on contate une arrivée relativement plus importante d’immigrés d’origine allemande, suisse et turque. Ce n’est qu’un bref survol historique rappelant l’importance du phénomène migratoire en Alsace de l’Antiquité à nos jours. 1. Émigrations alsaciennes Emigrants vers les AmériquesEn Amérique du Nord, nombreux furent les Alsaciens, protestants [3], qui, au XVIIe et au XVIIIe siècle, trouvèrent refuge pendant les persécutions religieuses, notamment en Nouvelle-Angleterre, dans la Baie de Massachusetts, en Pennsylvanie. Une autre partie des émigrants ont fui des crises économiques successives entre 1735 et 1789. En 1753, l'émigration des Alsaciens en Amérique inquiète les autorités et l'Intendance de Strasbourg décide de prendre un certain nombre de mesures pour restreindre l'émigration, sans véritable succès d'ailleurs. En 1817, les listes nominatives d'émigrants aux Etats-Unis dressées à la demande de Paris, permettent de dire que plus de 5000 Alsaciens (1236 hommes, 1073 femmes et 2882 enfants) sont partis aux Etats-Unis. En 1861, commence la guerre de Sécession qui va rendre pour un temps l'« Eldorado » inaccessible. En 1865-66 quand l'émigration reprend, la guerre étant terminée, on ne trouve plus aucune source, ni en Alsace ni à Paris, permettant de chiffrer les départs pour les Etats-Unis. Aussi est-il difficile de reconstituer le puzzle de l'émigration alsacienne aux Etats-Unis et au Canada : le chiffre de plus de 40 000 Alsaciens auquel on arrive est en tout état de cause réévaluation minimum. L’émigration vers les Amériques fut à cette époque largement dominante dès les années 1850 sur les autres destinations. Un chiffre pour 1858 : 1 139 personnes partent pour l’Amérique, 64 pour l’Algérie. Les Alsaciens profitèrent des commodités offertes aux étrangers. Les principaux ports d'arrivée des Alsaciens sont New York, Philadelphie et La Nouvelle-Orléans. Pourquoi cette émigration? Durant la période de développement de la population alsacienne entre 1815 et 1870, on arrive à un surpeuplement, particulièrement dans les campagnes où les populations appauvries ne pouvant survivre avec la seule exploitation de leur petite parcelle de terre sont souvent obligées de travailler aussi dans les manufactures. Très nombreux sont les journaliers, qui subissent très cruellement toutes les crises économiques et administratives de cette époque. Mais il serait erroné de conclure que ce furent toujours les Alsaciens les plus pauvres qui émigrèrent : si 58 % de familles émigrantes ont à peine de quoi payer le voyage, 42 % de familles n’ont aucun problème financier. Les émigrants (alsaciens) - Salon de 1861 : peinture. Dessin de Théophile Schuler (1821-1878) - 1861 (graveur Auguste Pontenier). D'après une peinture de T. Schuler de 1860 - collection privée (cliquez sur l'image pour en voir un extrait) ; à noter que le dessin en est une exacte symétrie verticale. Emigrants vers l'Est (Pologne, Russie, Ukraine, Serbie...)Les destinations étaient diverses et se faisaient généralement en convois, souvent avec des émigrants allemands des régions voisines. Beaucoup sont revenus sous les changements politiques et géographiques lors des premières décennies du XXe siècle, d'autres ont choisi les Amériques ou sont restés.
Emigrants vers l’AlgérieLe mythe de l’émigration des Alsaciens pour fuir en 1871 les Allemands est encore vivace chez Français, notamment les rapatriés d’Algérie [à lire]. Cette émigration fut faible comparée à celle des décennies précédentes. Sans omettre que l’option n’était donc pas exempte de calculs financiers opportunistes ; en effet, le 21 juin 1871, la France offre aux optants alsaciens-lorrains désireux de «changer de sol sans changer de patrie » 100 000 hectares des meilleures terres d’Algérie prises aux indigènes (surtout en Kabylie). Le 15 septembre 1871, ils obtiendront l’installation et le campement gratuits. Le 16 octobre 1871, les optants se verront offrir, en plus, trois années d’exemption d’impôts. Guynemer (1875) dans son rapport présenté à la Commission générale au nom du Comité de la Colonisation de l’Algérie, en 1875, estime à 6000 le nombre des Alsaciens-Lorrains débarqués en Algérie entre 1871 et 1874, et une autre estimation donne 12 000 entre 1871 et 1904. Mais ce chiffre inclut des colons alsaciens en mal de terre s’y étaient déjà installés au premier temps de la colonisation de l’Algérie ; il est aussi à comparer avec les 22 000 émigrants alsaciens-lorrains entre 1830 et 1862 et plus largement les 33 435 entre 1830 au début du XXe siècle (Fischer, 2002). La répartition de la première vague d’émigration se fait principalement dans les régions d’Alger et d’Oran. Avant 1871, le gouvernement français exigeait la justification de ressources comme une des conditions d’obtention du passage gratuit et d’un titre de concession : depuis 1841, la somme minimum est fixée à 1.200 francs par famille, puis en 1851, elle est portée à 1.500 francs et en 1854 à 3.000 francs. Une première loi, celle du 15 septembre 1871, impose au demandeur un capital de 5 000 francs, celui-ci devenant alors immédiatement propriétaire de sa concession. Le transport par mer est gratuit ainsi que l’installation, mais la majorité des candidats n’a pas les ressources nécessaires. Enfin, les chiffres des émigrants doivent être revus pour un bilan réel en déduisant ceux qui ont renoncé pour diverses raisons, soit en cours de voyages, soit à l’arrivée en Algérie ou après quelques années d’installation : ces retours peuvent certaines années représentés 25 % des arrivants. À consulter : 1871 : Les optants combien ?Dans le traité de paix de Frankfurt (Francfort) (10 mai 1871), la clause de l’option témoignait d’un esprit très libéral pour l’époque puisque tous les habitants, Alsaciens ou Français de l’intérieur, pouvaient rester en Alsace et bénéficier de la citoyenneté allemande, accordée d’office en cas de non option. Il n’y eut donc aucune expulsion. Tableau 1. Nombre des optants en 1872 - ces chiffres incluent les Alsaciens vivant déjà hors Alsace
S'il existe des listes des optants alsaciens pour la France (voir les Archives Départemantales et Geneanet), aucune sur les optants alsaciens pour l'Allemagne car il y en a eu en France ! À noter que les données réelles ne confirment pas celles des annonces politiques françaises !! 2. Immigrations en Alsace Les immigrations sont mentionnées dans les pages consacrées aux différentes familles concernées : comme nos origines familiales Quelques référencesArchives d'Alsace [Strasbourg]. L'émigration alsacienne au XIXe siècle. https://archives.bas-rhin.fr/rechercher/aide-a-recherche/une-personne-/un-emigre-xixe-siecle/ Bischoff G. (2005). Une minorité virtuelle - être welsche en Alsace dans les coulisses du siècle d'or (1477-1618). Cahiers de sociolinguistique, 2005-1, n° 10, 87-105. Centre Roland Mousnier (en ligne). Guide numérique des sources sur la population européenne en Algérie (1830-1962). Sorbonne Université, CNRS. https://europalg.huma-num.fr/s/guide-des-sources/page/accueil. Centre de Documentation Historique sur l'Algérie (2017). L’émigration des Alsaciens-Lorrains en Algérie. https://www.cdha.fr/lemigration-des-alsaciens-lorrains-en-algerie Choupaut L. (2022). L’Alsace terre de migrations. https://calenda.org/1031404, consulté le 5 février 2023. Dreyer D. (1987). Liste des Haut-Rhinois ayant émigré vers l'Amérique - 1800 et 1870 - A à Z. Archives départementales du Haut-Rhin, Colmar, 1 vol., ex. dactyl., 264 p. Emig C. C., 2018. Osthaim et l’origine toponymique et historique du village alsacien Ostheim (Haut-Rhin). Nouveaux eCrits scientifiques, NeCs_03-2018, p. 1-14. Emig C. C. - Galerie de nos Sosa comtes von Württemberg (Stuttgart ; Alsace) - Les possessions des Wurtemberg en Alsace (1324-1796) et en Franche-Comté (1247-1793). http://paleopolis.rediris.es/NeCs/NeCs_03-2018/index.html Fischer F. (1997). Les Alsaciens et les Lorrains en Algérie avant 1871. Revue française d'histoire d'outre-mer, 84 (317), 57-70. Fischer F. (1999). Alsaciens et Lorrains en Algérie, histoire d’une migration 1830-1914. Gandini, Nice, 174 p. Forrer R. (1935). L'Alsace romaine. Collection d’Études d'Archéologie et d'Histoire. Leroux, Paris, 220 p., 41 Pl. Fouché N. (1992). L'émigration alsacienne aux Etats Unis 1815-1870. Publications de la Sorbonne, Paris, 288 p. (thèse de doctorat). Frey Y. ( 2009). L'immigration alsacienne aux Etats-Unis du XVIIe à la première moitié du XIXe siècle. AG AMCT, 2009, 4 p. Frey Y. ( 2013). La guerre d'Algérie en Alsace. Enquête sur les combattants de l'ombre 1945-1965. La Nuée Bleue, Strasbourg, 269 p. Goepfert A. S. (2017). L'émigration alsacienne au XIXe siècle. https://archives.haut-rhin.fr/Education/p42/L-emigration-alsacienne-au-XIXe-siecle, 27 p. Guynemer A. (1873). Situation des Alsaciens et Lorrains en Algérie. Rapports de M. Guynemer. Société de protection des Alsaciens-Lorrains demeurés Français, Paris, 91 p. Hatt J. J. (1960). Les invasions celtiques en Italie du Nord. Leur chronologie. 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Langue et Culture régionales, Cahier n°1, CNDP-CRDP, Académie de Strasbourg, 3e édition, 41p. - et Pour compléter, consulter ↦ Bibliographie des Alsaciens dans le monde (Union internationale des Alsaciens) Notes : [1] Saletio (Seltz), Brocomagus (Brumath), Argentorate (Strasbourg), Osthaim (Ostheim), Argentovaria (Horbourg), Cambete (Kembs)… [2] Les études des sites archéologiques ont attestée de la densité de l’occupation du territoire de plaine et de la richesse économique de la région, peu avant la colonisation romaine. [3] Elle concerne partiellement les communautés amish, mennonites, piétistes… dont la destination a été souvent Philadelphie (Pennsylvanie) et une installation dans les environ comme à Germantown (aujourd’hui un quartier de Philadelphie) et le comté de Lancaster, toujours en Pennsylvanie. [4] Par « Lorrains » il faut entendre la population germanophone de la Lorraine, principalement dans le département de la Moselle : voir Vicissitudes [5] à voir aussi avec l’indigénat alsacien d’après le Traité de Versailles (1919) - page en préparation en comparaison avec la colonisation française de l'Algérie. |