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France - Allemagne... des différences linguistiques et sociétales

Familles dialectales allemandes

Le Forschungszentrum Deutscher Sprachatlas de l'Université de Marburg, l'une des plus importantes institutions de recherche sur les dialectes en Allemagne, définit le Dialekte (= dialecte) comme une langue locale distincte, dotée de sa propre grammaire, dans les six grandes familles dialectales de la langue allemande : ce mot est souvent remplacé par Mundart qui, en français, peut aussi signifier patois [1] ou parler [2]. Ces mots tant en français qu’en allemand peuvent, selon les personnes ou les auteurs, avoir des « définitions » différentes, rendant ardues leurs répartitions géographiques et leurs comparaisons entre eux. Ces dialectes ont été créés lors de la migration des peuples au Haut Moyen Âge, lorsque les tribus germaniques sont devenues sédentaires et que chacune d’elles a développé ses propres formes de langues germaniques occidentales.

Notre propos ici est simplement de montrer les relations linguistiques de régions limitrophes  avec les langues allemandes avec leur répartition géographique actuelle. Les tribus, notamment les Celtes, Alamans, Francs ne connaissaient pas les limites nationales actuelles et il en résulte que les régions germanophones depuis ces temps et leur évolution jusqu’à nos jours font aussi partie de régions françaises actuelles : Flandres, Lorraine et Alsace qui ont chacune une histoire, une culture et des langues distinctes.

En Allemagne, la généralisation du haut allemand dans les médias et les écoles a conduit à une diminution régulière de l’usage des dialectes, notamment dans les régions du Plattdeutsch (ou bas allemand [3]), car il présente les plus grandes différences par rapport à l'allemand standard de tous les dialectes ; il n’est plus parlé que par 3% de la population. Certains changements phonétiques au Moyen Âge se sont principalement répandus dans le sud des dialectes allemands et ont à peine pénétré dans le nord de l’Allemagne.

Sur le tableau ci-dessous, l’ensemble des six familles linguistiques en Allemagne (Sparchgebiete) sont mentionnés à travers leurs différents dialectes au nombre de 58 Mundarten ou Dialekte, ce qui montre que la simplification linguistique en Allemagne peut rapidement aboutir à une vision erronée. Tous les documents consultés étant en allemand, les termes originaux sont mentionnés dans cette page.

Familles dialectales allemandes en Allemagne en France (voir Carte)
Bas-allemand Plattdeutsch (auch: Niederdeutsch) a
Frison allemand du Nord-Ouest nordwestdeutsche Friesisch
Saxon central mitteldeutsche Sächsisch
Francique-sud-est allemand südostdeutsche Fränkisch b, c, d
Lothriger Platt
Sud-ouest alémanique südwestdeutsche Alemannisch e, f, g
Sud-allemand bavarois süddeutsche Bairisch

Europe_Deutsch-2.png

Sur la carte (actualisée) ci-contre, la répartition géographique de cet ensemble couvrant plusieurs pays européens.
Concernant la France :

  • Niederdeutsch - a : le flamand français go.

  • Mitteldeutsch - b : francique luxembourgeois, c : francique mosellan ; d : francique rhénan  - voir aussi go.

  • Hochdeutsch  - e : francique méridionale ; f : bas-alémanique ; g : haut-alémanique - voir aussi 1 go - 2 go.
    À noter que l’Alsace bossue est en francique rhénan.

Toute comparaison avec les langues en France, sauf dans ses régions germanophones (voir carte a-g), n’a que peu, voire aucun intérêt. Il est vrai que, quand on consulte les dictionnaires français sur les langues allemandes, on aboutit vite l’opposition le bas-allemand versus haut-allemand, en occultant l'allemand moyen, c’est loin de la réalité et de la complexité linguistique allemande qui n’est pas sans incidence sur des langues régionales françaises limitrophes. En outre dans la vision généraliste française, on oppose langue d’oc et langue d’oil, en négligeant, voire oubliant, toutes les autres langues métropolitaines, certes limitrophes, et celles d’outre-mer !

Chaque langue, prise en particulier, a son histoire. Les conditions extérieures, sociales, de son existence évoluent, et la langue elle-même, dans son système et dans son aspect matériel, se transforme. La linguistique fait partie de ces différences qui actuellement séparent les sociétés allemande et française, car elles ont leurs racines dans un passé séculaire. Déjà avant le  XVIIIe siècle, la société était structurée suivant des principes très différents dans l'un et l'autre pays. Le contraste de l’importance de la notion de communauté dans la culture allemande (en groupes plus juxtaposés que hiérarchisés), par opposition aux conceptions universalistes françaises (à tendance hiérarchisée), au cours des derniers siècles jusqu'au fondement de la nationalité et dans l'usage des langues.

Schon der Sprachwissenschaftler Wilhelm von Humboldt sagte vor mehr als 150 Jahren: Sprache ist Heimat.
Le linguiste Wilhelm von Humboldt a déjà déclaré il y a plus de 150 ans: La langue est  la... Heimat : un mot passablement intraduisible en français, car il regroupe à la fois son origine (son berceau), sa maison (son chez nous), son terroir, sa patrie.

Plus personnel, ma mère institutrice en Lorraine où son père était pasteur, n’acceptait pas l’oppression linguistique de l’Etat français et me rappelait régulièrement ce dicton allemand Reden, wie mir der Schnabel gewachsen ist (en traduction littérale : « parler comme le bec a poussé »), mais le sens dépasse le seul usage de la langue maternelle, mais affiche clairement son usage sur la terre de ses ancêtres, aux immigrants de l’apprendre fussent-ils de langue française ! Ce fut à une autre époque, au milieu du siècle dernier, quand l'alsacien était d'un usage au quotidien au sein de la population.

Quelques liens et références…

TLFi : Trésor de la langue Française informatisé, http://www.atilf.fr/tlfi, ATILF - CNRS & Université de Lorraine.

Bergounioux G. (2018). Jacques François, Le siècle d’or de la linguistique en Allemagne - de Humboldt à Meyer-Lübke. Revue d’Histoire des Sciences humaines, 33, 313-320.

Culture et bilinguisme de Lorraine. Définition de la langue régionale https://www.culture-bilinguisme-lorraine.org/fr/le-platt/definition-langue-regionale, consulté le 1er septembre 2019.

Deutsche Dialekte - Die Rettung des Platt. https://www.goethe.de/de/spr/mag/20981027.html, consulté le 1er septembre 2019.

D'Iribarne P. (1991). Culture et « effet sociétal ». Revue française de sociologie, 32 (4), 599-614.

DSO-Deutsch-Sprachschule Ortenau ( Baden-Württemberg). http://www.deutschsprachschuleortenau.eu/

Follmann M. F. (1909). Wörterbuch der deutsch-lothringischen Mundarten. Sändig, Leipzig, Vaduz : LothWB version en ligne depuis 2006.

Forschungszentrum Deutscher Sprachatlas  https://www.uni-marburg.de/de/fb09/dsa/projekte/regionalsprache-de-rede.

Martin E. & H. Lienhart (1899–1907). Wörterbuch der elsässischen Mundarten. Kübner, Strasbourg : ElsWB en ligne depuis 2006.

Maurice M., Sellier F. & J. J. Silvestře (1982). Politique d'éducation et organisation industrielle en France et en Allemagne, Paris, Presses Universitaires de France.

Schweizerisches Idiotikon. Das Wörterbuch online. https://idiotikon.ch/woerterbuch/idiotikon-digital


Notes

[1]  Définition de patois (d’après le TLFi) : Système linguistique restreint fonctionnant en un point déterminé ou dans un espace géographique réduit, sans statut culturel et social stable, qui se distingue du dialecte dont il relève par de nombreux traits phonologiques, morphosyntaxiques et lexicaux.

[2]  Définition de parler (même source) : Ensemble des moyens d'expression utilisés par un groupe social, dans un cadre géographique restreint, par un groupe, à l'intérieur d'un domaine linguistique donné; variété d'une langue utilisée par un groupe social déterminé.

[3]  Le mot Platt- est souvent associé au Plattdeutsch, notamment par des non-germanophones. Or, ce mot désigne nombre des dialectes ou de patois du Niederdeutsch (Bas-allemand) et du Mitteldeutsch (allemand Moyen), dont le lothriger Platt ou francique lorrain (appartenant Moselfränkisches Platt =  francique mosellan). En outre, dans le Nord de l’Allemagne, les dialectes sont aussi désignés sous Plattdeutsch ou Niederdeutsch, ce qui accroît la confusion au sein du groupe linguistique du Niederdeutsch ou Bas-allemand (voir carte).


Les différences entre les caractéristiques politiques ont marqué l’histoire du développement des deux langues française et allemande, tant il est vrai que les langues sont autant des réalités politiques que linguistiques et culturelles.
La France : un état unitaire centralisé. L’Allemagne : un état fédéral
avec un empereur élu. (**)

Le français est issu d’un des dialectes romans, de la langue d’Oil, existant dans la moitié nord de la France actuelle métropolitaine. Langue du Roi, ce dialecte de la région de l’Ile de France va être érigé en langue du Royaume par le pouvoir politique. Langue de la Cour, la classe cultivée va s’y identifier. Le français devient ainsi la langue du pouvoir (noblesse et bourgeoisie), du savoir, de la richesse et de la réussite sociale, soit une fraction limitée mais essentielle de la société. Bien que très tôt une vraie langue de communication, une part importante de la population continuera à parler les dialectes régionaux, jusqu’au XIXe siècle.

Les régions germanophones sont restées caractérisées par une grande division en une multitude de dialectes. Au cours du XVIe siècle, sous l’effet de l’imprimerie (notamment à Strasbourg), apparaît une langue écrite commune à partir d’emprunts aux dialectes des régions les plus actives. (aujourd’hui l’allemand standard). Elle sera rapidement diffusée par les échanges commerciaux et la diffusion de la Bible de Luther.
Pendant longtemps elle restera une Schriftsprache, la langue commune de l’échange écrit, chacun continuant à communiquer oralement dans son dialecte, en partie aujourd’hui encore.

(**) Cette situation valait pour l’Alsace pratiquement jusqu’en 1798, date de l'annexion de la totalité du territoire alsacien à la France. Les échanges oraux s’effectuaient longtemps en dialecte uniquement, jusque vers le milieu du XXe siècle.
Avec l’avènement de II. Reich (Empire allemand) en 1871, grâce au développement de la scolarisation et de l’administration, la Schriftsprache deviendra aussi une langue de communication orale pour une part grandissante de la population, notamment dans les églises protestantes. L’avènement de la radio achèvera cette mutation.

Uniformisation des parlers alsaciens et fin de la biodiversité

Dans ma jeunesse, alors que le théatre en alsacien était très populaire, il y eut une tentative de créer un alsacien standard écrit pour pouvoir publier et lire les pièces, car elles étaient bien écrite mais phonétiquement, et surtout selon le parler utilisé. En effet, il y a au moins trois parlers alsaciens... en Alsace. Du Nord au Sud, le francique rhénan méridional, puis deux alémaniques, le bas alémanique qui distingue au moins le strabourgeois, le colmarien, le mulhousien, et le haut alémanique. Alors il s'est vite avéré impossible de proposer une écriture standard sans "aplatir" les variétés phonétiques et linguistiques de tous ces parlers. Et donc de les appauvrir jusqu'à les rendre inaudibles du Nord au Sud et vice-versa !

Aujourd'hui, les nouvelles générations analysent l'évolution des parlers non plus de façon horizontale des deux côtés du Rhin mais plus verticale au sein seul de l'Alsace. Et là encore avec une tendance à l'uniformisation sous le regard scientifique de l'Université de Strasbourg. À suivre !

  • Voir aussi Quelques brèves notes sur la situation récente du parler alsacien go


  • Nota : la biodiversité ne s'adresse pas seulement à la richesse spécifique des êtres vivants (faune et flore et autres...) mais concerne aussi bien d'autres domaines comme ici les langues et leurs dialectes (sens large). Et si ces nouvelles générations commencent à se battre pour les premières, elle ne semblent pas être conscientes des effets dans d'autres domaines. À l'inverse, les anciennes générations y étaient attentives.


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