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Cousinages illustres : Le projet Bartholdi pour le Palais Longchamp à Marseille

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Auguste Bartholdi et son projet pour le Palais Longchamp à Marseille à partir de 1859

 

Au début de 1859, Jean-François Honnorat (1802-1877), maire de Marseille, commande au sculpteur  Auguste Bartholdi (1834-1904) un projet de château d’eau. Bartholdi ne songea tout d'abord qu'à une fontaine monumentale. Après plusieurs entretiens avec le conseil municipal, il associe un muséum divisé en deux corps isolés avec un château d'eau central. Il présente un troisième projet en reliant les bâtiments par une vaste galerie ayant son entrée dans l'axe du monument – à comparer avec l’édifice construit ultérieurement par Henri Jacques Espérandieu (1829-1874) (fig. ci-dessous et en bas de page ) - lire aussi .



Projet Bartholdi : maquette du Palais Longchamp
[© Archives municipales de Marseille]

 

Projet 2 Bartholdi :
maquette en plâtre de 1859 [© Musée Bartholdi, Colmar]
intitulé « Musée des Beaux-Arts et Muséum d'histoire naturelle, avec le château d'eau comme motif central et un portique qui les groupe dans une situation isolée ».

 

 


Le palais Longchamp réalisé d'après le projet d'Espérandieu

Devant les hésitations de plusieurs de ses membres, le conseil municipal s'adresse pour juger ce projet à une commission formée par trois architectes parisiens : Henri Labrouste (1801-1875) et Léon Vaudoyer (1803-1872), inspecteurs généraux des édifices diocésains, et Victor Baltard (1805-1874), architecte de la ville de Paris. Sous les critiques en grande partie injustes, comme une pauvreté des ébauches et le manque de précisions des plans, le projet est écarté : pour s'en convaincre il suffit de compulser le projet Bartholdi accessible aux Archives municipales de Marseille. On en oublie parfois qu'en 1855 et 1856, Auguste Bartholdi a effectué un voyage en Egypte et au Yémen, voyage qui le marquera jusqu'à la fin de sa vie, découvrant des pays contrastés. Ce voyage, fait en Egypte avec ses amis Édouard Auguste Imer, Jean Léon Gérôme, Léon Belly, Eugène Deshays, Narcisse Berchère, lui donne les premières idées de sculptures monumentales et d'architecture. Puis il poursuivra seul au Yémen. Il en profite pour ramener en France une grande quantité de témoignage de ce parcours à travers de nombreuses photos, dessins, ou des gravures et qui surement inspiré sont son projet marseillais.

La ville de Marseille règle ses honoraires à Bartholdi (soit 8770 fr. en 1859 et en 1860) et le nouveau maire Jules Onfroy (1808-1886) s’adresse dès 1861 à Henri Jacques Espérandieu, un architecte protestant mais calviniste originaire de Nîmes (tandis que Bartholdi était alsacien, protestant luthérien et franc-maçon), qui a réalisé auparavant l’actuelle basilique Notre-Dame de Garde (1852-1864) ; il fut aussi un élève de l’architecte Léon Vaudoyer qui construisit la cathédrale Major (1852-1893). En fait, le prête-nom pour un autre projet d’Espérandieu : l'Observatoire astronomique de Marseille (1860-1864). L’éviction de Bartholdi entraîne de violentes polémiques. Ce dernier met en œuvre toutes les relations avec la presse parisienne pour se faire reconnaître la paternité du projet de ce monument, un des chefs-d’œuvre de l’architecture du XIXe siècle. En effet, en 1861, le maire de Marseille est "dépossédé" du projet par le préfet Charles-Emile Maupas qui imposera son autorité au nouveau maire François Rouvière. En outre Espérandieu était bien implanté localement et même nommé inspecteur (en 1861) faisant office d'architecte de la Résidence impériale du Pharo (Marseille) par le ministre de la Maison de l'Empereur, Napoléon III, suite à des recommandations en haut-lieu !

Les premières revendications de Bartholdi datent de 1863 en affirmant que la colonnade semi circulaire est de son invention, puis en publiant ses plans (Bartholdi, 1863). Il soutient également que le projet proposé à la municipalité était sa propriété, car la ville, en lui payant ses honoraires, n’était pas devenue propriétaire des plans. Le tribunal de première instance de Marseille débouta Bartholdi (Parrocel, 1884).

Après l'inauguration du palais Longchamp, qui a eu lieu en 1869, Bartholdi demande que son nom soit inscrit sur le château d'eau, ce qui est refusé. En 1897, la Société des artistes français revendique pour Bartholdi l'honneur d'avoir conçu les plans du palais Longchamp. Faisant preuve d'une grande persévérance, il intente en 1901 un autre procès à la ville, sans succès, puis saisit la cour d’appel d'Aix qui le condamne à une amende et au paiement des frais (Dalloz, 1905), malgré une défense confiée à un maître du barreau Raymond Poincarré (1860-1934), futur président de la République française.
À noter qu'un grand ami de R. Poincarré était le professeur d'université Christian Pfister (1853-1933), originaire d'une famille protestante de Beblenheim, un village à quelques km de Ribeauvillé, le bourg natal de Bartholdi.

Mais, dans ce procès à épisodes contre la ville de Marseille, Auguste Bartholdi persèvere et finalement le procès se termine peu avant sa mort en 1904 en condamnant la ville de Marseille à lui payer la somme de 13 000 F. en compensation à sa grande satisfaction du sculpteur. Dans son testament go, cette somme a fait l'objet d'un legs à la Société des artistes français pour attribuer chaque année le "Prix du palais Longchamp" à un architecte qui a fait preuve d'originalité. Emilie Bartholdi, sa veuve, respectera cette volonté. A noter qu'en 1920 la sculptrice marseillaise Raymonde Martin (1887-1977) remporte ce prix géré par la fondation Bartholdi et obtient une bourse d'étude qui la conduit à Antioche. Pour en savoir plus... go

Information publiée par le journal parisien Le Temps, suite au discours, lors de l'inhumation d'Auguste Bartholdi, par son ami le peintre Tony Robert-Fleury (1837-1911). Plus sur l'enterrement... go

Aujourd’hui, il reste de notoriété générale d’après les auteurs récents que le palais Longchamp a bien été élevé par Espérandieu sur les données de Bartholdi… En effet, le projet Bartholdi, qui renferme l’idée initiale, trace aussi les rues avoisinantes provoquant l’isolement visuel du futur palais. Espérandieu lui-même reconnaît avoir vu le projet Bartholdi en 1859, puis en 1861 à la préfecture et que c’est là qu’il a copié la disposition générale du monument. Ce qui, à l’époque, n’avait pas été pris en compte par les tribunaux. En outre, les relations locales d’Espérandieu et celles de son mentor Vaudoyer (qui fut de la commission qui a rejeté le projet Bartholdi) sont aussi à prendre en compte, ce que font plusieurs historiens.

C'est peut-être aussi oublier qu'Auguste Bartholdi est alsacien et luthérien, méconnaissant probablement les arcanes d'une gestion municipale marseillaise (voire à la marseillaise) avec ses "particularismes" que connaissait bien Henri Jacques Espérandieu, cévenol et réformé, habitant Marseille. Cette ville, à nulle autre pareille, jouit d'une histoire vieille de 2600 ans... et cela vaut encore aujourd'hui.


Afin de permettre au lecteur de se faire sa propre opinion, voici les plans des projets pour leur comparaison, ainsi que quelques références. D'autres auteurs, notamment allemands et anglophones, ont aussi étudié l'historique ayant conduit Bartholdi au procès et au refus de la reconnaissance de sa propriété intellectuelle, reconnaissant le bien-fondé de la demande de Bartholdi. Et pourtant, peu avant sa mort, la ville de Marseille est condamnée à verser au sculpteur la somme compensatoire de 13000 F.

Projet Bartholdi 1859-1860 Projet Esperandieu 1862-1869


Cliquez sur le plan pour voir le projet complet

Plan du palais Longchamp dressé en 1920. La municipalité de Marseille en 1861 trouvant le projet Bartholdi trop cher (estimé à 500 000 fr.) a réduit le projet demandé à Espérandieu au seul palais - n'avait-elle pas les moyens de ses ambitions ou une excuse pour justifier le refus du premier ?

Plan du quartier et du plateau Longchamp en 1851
et incluant ci-dessous le projet Bartoldi de 1860.

Plan du quartier vers 1875 avec le palais Longchamp construit par Espérandieu et inauguré en 1869. La rue de l'Union sera ultérieurement rebaptisée rue Espérandieu. Le jardin des Plantes (hors projet Espérandieu - mais inclus dans celui de Bartholdi - zone verte) est le jardin zoologique de Marseille (ouvert en 1854 et fermé en 1987).

Nota : les Marseillais venaient volontiers se prélasser sur ce plateau jadis couvert d'un grand champ - en disant on va au long champ - ainsi le quartier prit ultérieurement le nom de Longchamp (Bouvier, 1988).


Extraits du Dossier 9M7 des Archives municipales de Marseille
(concernant le projet, les délibérations municipales et la construction du palais Longchamp)


18-9-1843 - Aménagement du Chemin Neuf de la Magdeleine (aujourd’hui bd de la Libération) incluant l’édification d’un Muséum.

En plus de l'alimentation en eau de la ville, une priorité, la municipalité désirait construire un muséum d'histoire naturelle pour présenter les collections qui étaient provisoirement entreposées dans les locaux au 49 du bd du Musée (maintenant bd Garibaldi).

19-5-1847 - Reprise de l’ancien projet Longchamp, approuvé en commission du 19 -5 1847.

14-2-1848 - Conseil Municipal : délibération pour l’acquisition du terrain par acte du 11-1848.

Le projet de Pascal Coste : en 1847 la ville commande à l’architecte marseillais Pascal Coste un projet de muséum et d'un château d'eau. Ce projet restera à l'état d'esquisse,  suite aux événements de 1848.

En 1850, sur les conseils de Franz Mayor de Montricher, l'ingénieur concepteur et réalisateur du canal de Marseille, la ville fait appel à Jean-Charles Danjoy. Cet architecte prévoit la réalisation, sous un arc de triomphe, d’une allégorie de la Durance accompagnée de figures féminines symbolisant la vigne et le blé. Ce projet n’aura pas de suite.

Le projet Bartholdi : voir aussi ci-dessus.

Au début des années 1860 l’Observatoire est transféré sur le plateau Longchamp pour accueillir de nouveaux instruments, notamment le grand télescope de Foucault. L’architecte du « nouvel observatoire » est H. Espérandieu.

1-6-1862 - Construction du Musée des Beaux-Arts, du Muséum d’Histoire naturelle et du Château d’eau, à élever sur le plateau Longchamp – signé par l’architecte H. Espérandieu.

Le palais est inauguré en 1869. Lire aussi Espérandieu (1869).


150 ans plus tard, le quotidien marseillais La Provence consacre un article dans lequel on mentionne "La municipalité va demander au jeune architecte Henry Espérandieu de s'occuper de ce projet après avoir retoqué celui soumis par Auguste Bartholdi (à qui l'on doit, excusez du peu, la Statue de la liberté à New York)."


Références

Bartholdi A., 1863. Marseille : Projet de décoration de la colline et du plateau de Longchamp, de musées et d'un château d'eau. Revue de l'Architecture et des Travaux publicsvolume 21, p. 168-173. 

Bartholdi A. & J. Rauter (18--). Mémoire pour M. Auguste Bartholdi contre la ville de Marseille. 52 p.

Bouvier R., 1988. Origine des quartiers de Marseille. Garçon, Marseille, 157 p.

Dalloz, 1905. Dalloz – Jurisprudence générale.  Recueil périodique et critique, 1e partie, p. 300-301. 

Divers auteurs, 2019. Longchamp - le palais des eaux, des arts et des sciences. M, la revue de la ville de Marseille, n° 263, 5-58, dont a été extraite "L'affaire Bartholdi", p. 17.

Emig C. C., 2018. Pfister Chrétien, dit Christian : généalogie et biographie (1857-1933). Nouveaux eCrits scientifiques, NeCs_05-2018, p. 1-13.

Espérandieu H., 1869. Palais de Longchamp. Documents relatifs aux réclamations de M. Bartholdi. Barlatier-Feissat, Marseille, 16 p.

Girard X. & E. Loviot (1898). Palais de Longchamp. Réclamation de M. Aug. Bartholdi à la ville de Marseille. Rapport des délégués de la Société des artistes français, MM. Xavier Girard, Loviot, au comité de la Société... [18 février 1898]. Société des Artistes français, Paris, 38 p.

Parrocel E., 1884. L’art dans le midi. Célébrités marseillaises, Marseille et ses édifices: architectes et ingénieurs du XIX siècle. Chatagnier, Marseille, tome 4, 351 p. 

Ville de Colmar (2003). Agenda 2004. Bartholdi, le Colmarien qui éclaira le monde, 144 p.  

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